3 Mars 2016
Réveil avec le sourire, j'ai décidé d'effacer de ma mémoire immédiate, les événements d'hier soir. Cela restera en arrière-plan pendant longtemps, je pense, mais pour l'heure, je veux profiter de ce beau dimanche. Enfin, beau peut-être, mais pas sur le plan de la météo. En ouvrant mes rideaux, j'ai pu constater qu'il pleuvait à pleurer. J'allume la radio pour entendre ce qu'en disent les spécialistes, il est encore un peu tôt, l'heure des informations n'est pas arrivée. Alors, je profite d'une chanson rythmée, Womack & Womack, ça poursuit le réveil tonique. C'est d'ailleurs curieux qu'une chanson qui donne la pèche soit une chanson dont les paroles sont tristes, Teardrops in my eyes, des larmes dans mes yeux... Mais c'est facile à écouter même si on est en pleine rupture ou en désespoir amoureux. Je danse en me dirigeant vers la salle de bain, un pas en avant, deux pas sur le côté, une pirouette, je n'avance pas vite, mais j'ai le temps. Je me suis encore réveillée bien tôt, du coup je peux traîner sans crainte.
Petite toilette rapide, j'ai quand même macéré dans l'eau pendant plusieurs heures hier soir avant la douche, si avec ça je ne suis pas déjà en partie propre, c'est à n'y rien comprendre. La pluie a cessé, une simple pause entre deux averses ou une accalmie durable ?
Puis, un petit déjeuner léger bien que la faim m'assaille avec ardeur. Au regard de tous les excès de ces derniers jours et sachant que les retrouvailles avec mes amies seront aussi placées sous le signe de la bonne bouffe, je préfère me faire un smoothie glacé. Je prépare mon matériel, le bol du blender accueille mes fruits surgelés, abricots, fraises et framboises du jardin d'une amie, et ananas mangue du jardin d'un marchand de surgelés. Une banane fraîche, pour tenir un peu plus au ventre et un peu d'eau pour délayer, mais sans trop. Et surtout, ne pas oublier de remettre le couvercle sous peine de devoir passer sa matinée à nettoyer la cuisine plutôt que de déguster sa boisson ! Oui, c'est stupide, qui oublierait de remettre son couvercle ? Moi, peut-être, vu que cela m'est déjà arrivé !
Je m'installe avec mon grand verre et une paille, devant la fenêtre de la cuisine. C'est calme dehors, il n'y a personne, pas même le chat Sushi. Il a trouvé un logement accueillant, encore une fois. Il est heureux, l'animal. Pas d'attache fixe, mais de nombreuses petites attaches, de quoi changer son quotidien en nouveauté perpétuelle. Tout d'un coup, un petit rouge-gorge vient sur le rebord de ma fenêtre. Il ne me voit pas avec le voilage léger qui me dissimule à sa vue et il se sent presque tranquille, assez en tout cas pour attaquer le nettoyage matinal de ses plumes. Il se gonfle, pique du bec sous son aile, s'ébroue et s'arrête tout subitement. Un bruit a sans doute attiré son attention, à moins que ce ne soit un mouvement. Il est en alerte pendant quelques secondes, puis prudent, il prend son envol pour se choisir un autre endroit où faire sa toilette. Je ne peux l'en blâmer, il y a quand même un félin qui se promène souvent par ici.
Ce petit intermède m'a accompagné le temps que je finisse ma boisson. Je rince mon verre que je dépose dans l'égouttoir et jette ma paille à la poubelle, directement le brossage des dents, puis retour à ma chambre pour la grande question : qu'est-ce que je mets sur moi aujourd'hui ? Pas question de s'habiller trop à la cool, pantalon informe et pull du même genre. Non, il me faut trouver le juste-milieu, confortable et chic à la fois. Affaire délicate qui demande réflexion.
J'ouvre en grand les portes de mon dressing. Fidèle aux stéréotypes, mon armoire est pleine, mais je n'y trouve rien qui me convienne. Je file dans la chambre de ma fille afin de vérifier s'il n'y a pas un petit quelque chose qui satisferait à mes désirs matinaux et bingo ! je trouve un pantalon noir large à pinces légères et petites poches raglan ainsi qu'un chemisier fluide vert sombre. Associé à un gilet pris dans mon armoire, me voici protégée du froid. Quant aux chaussures, une petite paire de bottines à lacets me protègera de la pluie qui vient de reprendre l'air de rien.
Il me reste pas mal de temps avant de partir aussi je m'installe tranquillement dans le canapé, des coussins dans le dos et un livre que j'ai entamé il y a déjà plusieurs semaines et dont je n'ai pas eu le temps de poursuivre la lecture. Bien que le jour soit levé, il fait encore un peu sombre à l'intérieur en raison de la météo aussi j'allume la liseuse que j'oriente sur mon livre et me voici partie dans les aventures d'un jeune homme recherchant ses origines dans une France du 19e siècle. C'est passionnant, à tel point que je suis plongée dedans et ne vois pas passer le temps. Quand finalement je regarde l'heure, me voici en retard. C'est tout moi, j'ai tant de temps de libre que j'en profite toujours pour être en retard !
Je pose mon livre sur la table basse, éteins la liseuse et me précipite dans ma chambre afin d'y prendre mon sac à main et mes clés de voiture. J'enfile un manteau à capuche et attrape un grand parapluie au passage de la porte d'entrée que je referme à clé pour me diriger vers le garage.
La pluie n'a pas ralenti son rythme, bien au contraire. Le vent s'en mêle pour vous tirer, pousser, balloter, sans sens précis. Le parapluie est malmené, mais je l'ai choisi solide pour faire face aux bourrasques. Fort heureusement, j'ai attaché mes cheveux sinon ils seraient dans mes yeux le plus souvent et me gifleraient le visage, m'empêchant de voir où je vais. Je me presse pour entrer dans ma voiture. Ouf, me voici à l'abri. Ce n'est vraiment pas un temps à rester dehors. Je sors en marche arrière, un petit bip pour refermer le garage et me voici en devant la grille de la résidence. Il me faut encore sortir de la voiture pour l'ouvrir, et ça, franchement, j'avoue que cela ne m'emballe pas, mais je n'ai pas le choix, je n'ai pas la capacité d'un passe murailles.
Alors que j'ouvre ma porte, le vent m'attrape déjà dans la voiture. J'ai toute les peines à refermer la portière et je me dirige vers la grille, sans mon parapluie. Il est difficile de concilier l'ouverture du portail et la tenue du parapluie pendant que je subis les assauts du vent aussi je préfère être mouillée et parvenir à un résultat le plus rapidement possible. Je retourne rapidement à ma voiture, enfin, autant que je le peux, car il me faut lutter pour avancer et ouvrir de nouveau ma portière. C'est une vraie tempête qui se joue rien que pour moi, car je suis totalement seule dehors, à me confronter aux éléments déchaînés. La grille est secouée et ma voiture, bien que solidement ancrée au sol en raison de sa taille, est frappée de bourrasques qui donnent le sentiment d'être sur un bateau. Est-ce bien raisonnable de sortir ainsi ? Probable que non, mais je ne veux pas manquer une occasion de revoir mes amies, c'est notre réunion annuelle, entre filles. Et puis, les événements d'hier, bien que mis en retraits dans ma mémoire, justifient le besoin de changer d'air. Alors, tant pis pour la raison, soyons fous, et c'est parti sur les routes désertes de ce dimanche matin.
Curieusement, alors que je démarre enfin et quitte la résidence, j'ai comme l'impression qu'une autre personne brave les intempéries. Il m'a semblé la voir dans ma vision périphérique, mais lorsque je me suis tournée pour découvrir lequel de mes voisins trouvait le courage de sortir, je n'ai vu personne. Il faut dire qu'avec le rideau de pluie qui vole sous les fortes rafales de vent, il est difficile d'assurer avoir vu quelque chose, ou quelqu'un.
J'ai encore une obligation avant d'arriver chez mes amis, un passage à la boulangerie pour prendre un gâteau commandé la semaine précédente, du pain bien frais, puis le fleuriste pour un bouquet chargé de couleurs printanières à destination de la maîtresse de maison. Fort heureusement pour moi et pour le bouquet, le fleuriste est relié à un parking souterrain aussi c'est sans dommages que je le dépose dans mon coffre. Pour la boulangerie, c'est un peu plus compliqué. Je me réjouis qu'il n'y ait pas la queue des dimanches à l'approche de midi, la météo joue enfin en ma faveur. L'intérieur de la boutique est trempé, le vent déclenche l'ouverture de la porte et la pluie pénètre à loisir. Je vois à la tête de la vendeuse que les conditions ne lui siéent guère et je comprends fort bien. Le magasin est sali fortement et la clientèle a préféré rester chez elle, la marchandise sera perdue en grande partie, d'autant que le lendemain ils sont fermés. À l'approche du client courageux, elle fixe un beau sourire sur son visage et se fait accueillante. Les formules de politesse dites, on passe aux classiques constatations climatiques et ses répercussions sur nos vies. Je n'ai pas envie d'entrer trop loin dans la conversation, mon retard n'est pas en passe de diminuer. Malgré tout, je papote un peu, histoire de lui tenir compagnie et de lui remonter le moral. Pus je récupère ma commande et mon pain. Elle me propose l'aide du jeune apprenti pour porter mon gâteau, en temps normal j'aurais refusé, mais vu le risque à tout tenir dans mes mains face à un vent agressif, j'accepte, soulagée.
L'adolescent est tout chétif, je le regarde enfiler un manteau qui le fait paraître plus épais, mieux apte à résister aux rafales et cela me rassurerait presque. Je lui ouvre la portière de la voiture afin qu'il y dépose la boite blanche cartonnée sur laquelle on peut lire, en lettres calligraphiées, le nom de la boulangerie qui a réalisé mon gâteau. Je dépose le pain à côté, pas d'accident, tout s'est bien passé. Je propose une pièce au jeune homme pour le remercier de son aide, mais il refuse, probablement la consigne donnée par ses employeurs. Il est vrai que si leurs gâteaux sont délicieux, eux le sont un peu moins à l'égard de leur personnel et occasionnellement aussi vis-à-vis de leurs clients, je l'ai déjà constaté à plusieurs reprises.
Je reprends la route, une trentaine de kilomètres me séparent de mes amies et de la belle journée que nous allons passer ensemble.
Je suis prudente, le vent bouscule ma voiture et tente de m'entraîner sur le bas côté. Je suis cramponnée à mon volant pour faire face aux violentes rafales qui se succèdent. Des branches mortes sont tombées sur les bas côtés, je surveille qu'il ne s'en trouve pas sur la chaussée. Ma vitesse est en dessous de la limitation, mais personne ne s'en plaint derrière moi. Il faut dire que je ne vois pas le moindre feu de croisement dans mon rétroviseur et c'est à peine si je rencontre quelques autres téméraires qui font fis de toute prudence, tout comme moi. Pas de radio cette fois, je préfère me consacrer pleinement à ma conduite.
C'est épuisée que j'arrive enfin chez mes amis. La grille est ouverte aussi je peux entrer directement dans la belle grange qui leur sert de garage semi-ouvert. Elle est attenante à la maison avec une porte de communication, je suis tranquille pour les rejoindre sans devoir combattre la pluie, le vent, tout en tenant sac, gâteau et pain ce qui m'évitera le risque d'un accident potentiel. Plusieurs voitures sont déjà stationnées, je suis encore la dernière arrivée.
Je déclenche la fermeture de la grille puisque je compte les voitures de toutes mes amies, nous n'attendons plus personne, inutile de laisser ouvert, même s'il y a peu de risque qu'une personne s'invite à notre petite fête féminine.
À travers le rideau de pluie, je devine le jardin de la propriété. Je sais qu'à l'arrière de la longère, on trouve plantés sur un terrain de plusieurs centaines de mètres carrés, des arbres fruitiers bien taillés qui donnent à foison lorsque la saison est favorable et généralement, on profite de l'hiver pour ouvrir quelques conserves réalisées aux beaux jours. Devant toute la façade, on trouve des massifs garnis de plantes vivaces rares et variées, parsemés de bulbeuses odorantes ou colorées. Je doute avoir l'occasion de me promener au jardin cette fois-ci, mais je ne désespère pas qu'à notre prochaine réunion amicale, celle où les hommes seront présents, le temps soit plus clément et nous permette de partir à la découverte sans cesse renouvelée des feuillages et des fleurs de saison.
Je frappe à la porte et entre sans attendre une réponse. Je connais les lieux, je sais qu'elles sont dans le salon près de la cheminée déjà occupées à rire et qu'elles ne m'entendront pas. Je pose mon chargement sur la table du sellier, défais mon manteau que j'accroche à la patère afin qu'il sèche un peu, remets de l'ordre dans mes cheveux et me dirige vers mes amies déjà très occupées à passer un bon moment.
À ma vue, des exclamations de joie fusent et la maîtresse de maison, les bras grands ouverts, m'accueille avec le sourire. Je fais le tour des convives, bises, commentaires rapides de bienvenues ou petites remarques sur mon retard habituel, c'est un peu comme si notre dernière rencontre s'était produite il y a quelques jours et non quelques mois. C'est si bon de ne se retrouver qu'entre filles, pas d'ambiguïté, on parle le même langage et on a les mêmes préoccupations, les hommes !