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Le cri de la salade

A la demande de mes ami(e)s, je me lance à partager quelques variations épistolaires.

Un homme seul - partie 25

Je suis détendue, enfin ! Oubliée cette mauvaise journée ou en-tout-cas, rangée dans un coin de mon esprit. Ce dernier est au repos, il cuve devant le téléviseur à moins qu'il n'entame une retraite spirituelle bien méritée. La fin de l'épisode me voit me relever pour rapporter à la cuisine les reliefs de mon plateau-repas. Je m’attelle enfin à ranger mon désordre dispersé au fil des pièces un peu plus tôt dans la journée. Inutile d'employer le lave-vaisselle, il n'y a que si peu de choses dans l'évier. Et puis, je me souviens que j'aimais bien faire la vaisselle à la main lorsque je n'étais pas équipée de cet appareil moderne qui fait gagner tant de temps à la ménagère, qu'elle soit de plus ou de moins de 50 ans, pour paraphraser les publicitaires sexistes. Comme si, seules les femmes pouvaient utiliser ce type d'appareil !

Je vérifie l'état de ma cuisine, tout va bien, même la gamelle du chat est nickel, il n'y a rien laissé. Un petit tour au salon pour ranger là aussi, je coupe le téléviseur, c'est l'heure des informations, je ne suis pas intéressée, ce soir. Je décide qu'un peu de musique serait la bienvenue alors c'est la chaine hifi que je mets en marche, mais avec un CD, pas une radio. Pas du tout envie d'être polluée par plus de publicité et de parlottes que de musique. Je me récupère un vieil album de « l'affaire Louis' Trio », c'est enjoué et remuant, tout à fait ce qu'il me faut pour avoir du peps. Les notes démarrent, gentiment, je monte le son et branche les autres haut-parleurs de l'appartement afin d'en profiter dans toutes les pièces sans pour autant en faire profiter les voisins. Et c'est parti, je me déplace en chaloupant mes hanches au son des notes légères. Heureusement que je suis seule, on pourrait me prendre pour une folle.

La chambre est la pièce suivante à subir mon passage énergique. J'ai ramassé au fur et à mesure les vêtements abandonnés de droite et de gauche et déposé au sale ceux qui le méritaient. Le reste est rangé, sur cintre pour la penderie ou dans l'armoire, bien plié pour un prochain usage. On ne peut pas dire que j'ai eu le temps de les salir dans mes diverses activités de ce jour.

Le chat étant sorti un peu plus tôt dans la soirée lors d'une coupure publicitaire, j'en profite pour refaire le lit, changer les draps, comme une conjuration au mauvais sort. Et puis ce sera un vrai délice de se glisser dans de nouveaux draps.

Je mets en marche la machine à laver le linge sur un programme court et poursuis ma route vers la salle d'eau pour une toilette rapide mais rafraîchissante. Je me glisse sous la douche chaude, j'en frissonne de plaisir. Si la toilette est rapide, il n'en est rien de mon passage sous l'eau. J'y suis si bien que je traîne plus que de raison. Pour une fois, j'oublie mes considérations écologiques et économiques et je m'offre ce petit supplément de bonheur. La raison fini par l'emporter, aidée par une diminution de la température de l'eau, il semble que le chauffe-eau soit au bout de sa capacité. Je frissonne, non plus de plaisir cette fois mais de froid. Rapidement j'ouvre la porte de la douche et attrape une grande serviette de bain afin de m'y enfermer dedans. Je me recroqueville quelques secondes, le temps pour mon corps de s'adapter aux nouvelles conditions imposées. Mes pieds sont bien ancrés sur le tapis absorbant et moelleux. Maintenant que je me suis habituée à la température de la pièce, je m'essuie avec application avant d'enfiler ma robe de chambre. J'adore son contact sur ma peau, c'est régressif, comme un retour en enfance.

Je me dirige devant le miroir sur lequel je passe ma main pour enlever la buée qui me dissimule à ma vue. Cela fera de vilaines traces en séchant, mais je m'en fiche royalement, il sera toujours temps d'y passer un coup de chiffon, plus tard.

Je m'occupe de ma crinière tout emmêlée et c'est avec douceur que j'y passe la brosse afin de ne pas m'arracher trop de cheveux, en même temps que la peau du crâne. Je réalise que ce serait bien de prendre un rendez-vous chez ma coiffeuse, ils ne sont pas aussi doux qu'ils l'étaient il y a quelque temps. À marquer sur la liste des choses à faire ! En attendant, j'y applique une huile protectrice qui devrait leur donner un petit air de frais. Le sèche-cheveux vient compléter les soins apportés, mais en mode séchage doux. Du coup les dernières traces de buées sur le miroir s'évaporent rapidement. Dommage de ne pas y avoir pensé en premier plutôt que d'avoir essuyé à la main, mais en fait, je m'en fiche toujours autant, c'est vraiment pas le temps que cela me prendra de passer un coup de chiffon pour enlever les traces.

Le sèche-cheveux qui fonctionnait en douceur s'emballe brusquement. Je l'éloigne vivement de ma tête et le coupe pour le redémarrer aussitôt. Non effectivement, cela ne tourne plus au ralenti, c'est curieux. Par ailleurs, cela semble éclairé à l'intérieur de l'appareil. Je tourne vers mon visage et reçois la chaleur vive directement sur les yeux, aussi j'éloigne un peu la machine pour constater que la résistance est toute rouge. Je retourne l'appareil afin de voir l'arrière sans être dérangée par le souffle chaud, oui, il doit y avoir un problème, c'est rouge incandescent. Je crois que cette fois ça y est, ma vieille machine vient de rendre l'âme, je n'ai d'autre choix que de l'éteindre et d'enrouler mes cheveux dans une serviette pour un séchage plus lent, mais moins agressif.

Je débranche le sèche-cheveux, un dernier petit adieu et je m'en vais le déposer dans un sac destiné à recevoir d'autres produits technologiques en panne, espérant toujours que ce ne soit pas trop vite rempli. Celui-là il aura au moins eu une longue vie, contrairement à la cafetière à dosette qui n'a pas tenu plus longtemps que sa limite de garantie !

Il n'y a plus de musique, le groupe dont le leader nous a quittés il y a peu, a terminé la représentation privée qui m'était réservée ce soir. Je me dirige vers ma collection de cd à la recherche de la relève, je pars sur un album totalement à l'opposé du précédent, chansons à textes poétiques et curieusement allumés, à se demander dans quel état était l'auteur quand les paroles lui sont venues, mais finalement, rien de très surprenant quand on y songe, puisqu'il nous refait Alice au Pays des Merveilles. Oxmo Puccino et ses textes puissants basés sur des métaphores et des phrases chocs, le Brel du rap français ! Il s'accompagne d'un fabuleux trompettiste franco-libanais, unique en son genre, Ibrahim Maalouf. J'ai découvert cet univers il y a peu, un ami me l'a envoyé par erreur, fort belle erreur en vérité.

Pour profiter pleinement des paroles, il convient de faire une activité qui ne détourne pas mon esprit de ces mots aussi bariolés que les personnages de Lewis Carroll aussi je décide de m'installer à mon chevalet et de sortir mon matériel rangé depuis trop longtemps.

Inutile de me poser devant la fenêtre, il fait nuit noire et mon inspiration n'y puisera pas sa source ce soir. J'allume toutes mes lumières afin d'éviter les ombres qui détourneraient l'effet escompté, puis je retourne dans ma chambre pour me vêtir d'habits résistants aux échappées sauvages de mes tubes de peinture. Je me défais de la serviette qui recouvre mes cheveux et relie ces derniers en un chignon haut à l'aide d'un vieux chouchou à la couleur incertaine. Me voici prête à laisser libre court à mon imagination.

J'ouvre mes tubes, des couleurs vives se déplient en boudins colorés qui se lovent dans les alvéoles de ma palette de plastique blanche. Je regarde ma toile de lin à grain moyen, ce soir je m'offre un espace à l'horizontale, 61 par 46 cm, cela devrait me permettre de me faire grandement plaisir.

J'attrape un pinceau Kevrin+, le bout arrondi en imitation de poil de mangouste est d'excellente qualité et va me permettre de nombreuses variations. Je le regarde, j'apprécie sa finesse et sa résistance, c'est exactement celui qu'il me fallait. Je l'ai acheté il y a plusieurs mois, avec d'autres de tailles et formes variées, mais je n'avais pas eu le temps de m'en servir jusqu'alors. On laisse passer les jours, on se remplit de tant d'occupations pour meubler sa solitude que, le plus souvent, on en oubli les choses simples et créatrices qui permettent tant de petits plaisirs.

Je me perds dans la contemplation de ces merveilleuses teintes durant quelques secondes, avant de me lancer et de tremper directement dans un rouge brillant, un rouge coquelicot. Et je m'enfonce dans mon travail, oubliant tout, mes soucis nouveaux et en devenirs, ma solitude discrète que je découvre parfois pesante, le printemps qui n'arrive pas, mes amies si chères, le chat qui squatte mon appartement, le Vendéen qui n'a pas donné de nouvelles, l'homme seul du restaurant...

Le silence est tout d'un coup présent. La musique s'est arrêtée, je ne sais si c'était il y a deux minutes ou deux heures. J'ai décroché mon esprit de mon corps, laissant aller mon âme dans les couleurs que j'ai distribuées sur la toile de lin. Je suis épuisée, vidée. Je repose mon matériel sans regarder ce que je viens de faire, j'en suis incapable, cela a toujours été ainsi, je m'évade lorsque je peins, puis je m'enfuis sans regarder en arrière, tel un détenu s'efforçant d'échapper à ses geôliers. Il me faut digérer, et ce, pendant des heures, autrement je veux y revenir, ajouter une touche par endroits, en retirer une autre ailleurs, perpétuelle insatisfaite du résultat obtenu.

Alors, je me recule, la tête baissée, le regard détourné. Je rebouche mes tubes, trempe mes pinceaux dans le bocal contenant l'eau pour les rincer, les agite pour enlever le plus gros avant de les passer dans un autre bocal avec une nouvelle eau, pour un rinçage final. Puis j'attrape un chiffon propre et je les sèche consciencieusement avant de les ranger dans leur boite, jusqu'à la prochaine utilisation. Je prends mon temps, c'est comme un dur retour à la réalité, comme si j'avais consommé des substances illicites et que leur effet serait terminé. L'atterrissage est douloureux, peindre m'emplit et me dévore tout à la fois.

Après avoir terminé de nettoyer mes outils et de ranger mon matériel, je me dirige vers la chaine hifi pour l'éteindre tout en ayant récupéré le CD que je range dans son coffret. Je regrette quand même un peu de m'être à ce point laissée envahir par mon tableau, je n'ai pas profité comme je le souhaitais des paroles de l'auteur. À moins que je ne retrouve ces paroles dans ma peinture, mais ça, je ne le saurai que lorsque je serai capable de regarder le travail réalisé, demain, ou un autre jour. Rien ne presse, je préfère patienter plutôt que de détester ce que je viens d'exprimer sur la toile. À chacun sa folie !

J'éteins toutes les lumières qui m'avaient accompagnée et je me rends à la salle d'eau pour enlever les traces de couleurs qui maculent mes mains et peut-être aussi mon visage, ce ne serait pas la première fois. Je dépose au passage ma tenue dans le panier de linge, arrivant ainsi nue devant le miroir.

Je me dévisage puis détaille mon anatomie. Les années sont là, sans aucun doute, ce n'est plus un corps ferme et puissant, prêt à surmonter toutes les épreuves pour emporter une bataille, mais c'est un corps avec lequel j'ai appris à vivre. Il n'est pas si mal, après tout, et puis, à quoi bon le renier, il n'est que l'expression de la vie que j'ai menée jusqu'alors. Fidèle, il ne m'a jamais fait faux bond, même si souvent je lui en ai voulu de ses imperfections, même si je lui ai parfois reproché ma solitude, cherchant un prétexte qui justifierait cela.

Je tends le bras et récupère une robe de chambre qui était accrochée à la patère, inutile de prendre froid. Je nettoie ce qui est nécessaire, me brosse les dents et étale sur mon visage une crème hydratante que l'on nous vend comme ralentissant les effets du temps. Inutile d'en mettre des couches de plus en plus épaisses pour espérer bloquer cette fuite inéluctable des années qui se traduit par une pesanteur de plus en plus évidente.

Je me lance un sourire, je me dis que je suis belle, à ma manière, avec mes années et mes imperfections et que, quand bien même je serais la seule à m'en rendre compte, et bien ce serait déjà pas mal.

Arrêtant mes divagations, je décide qu'il est grand temps d'aller me coucher, demain matin j'ai un rendez-vous d'importance que je ne peux manquer.

De retour dans ma chambre, c'est trois réveils que je programme, deux sur mon téléphone et un sur mon radio-réveil. Si l'un d'entre eux décidait de me refaire le coup de la panne, avec les deux en secours, cela devrait sécuriser mon éveil matinal.

Je retire ma robe de chambre que je dépose sur le tabouret de pied de lit et me glisse avec délectation entre le drap et la couette, le contact du tissu froid sur ma peau nue me fait frissonner et je sens mes poils de bras se redresser. Très rapidement la chaleur de mon corps se diffuse et réchauffe la surface que j'occupe. Je me cherche une position idéale pendant quelques mouvements et voici que j'y suis, la douce récompense d'une dure journée, la nuit de sommeil, réparatrice !

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