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Le cri de la salade

A la demande de mes ami(e)s, je me lance à partager quelques variations épistolaires.

Un homme seul - partie 9

Le réveil aussi doux soit-il, est désagréable ce matin. J'avais envie de poursuivre ma nuit, non que je manque de sommeil, juste que j'y étais bien. Qu'importe, il est temps de se bouger et de procéder aux rituels matinaux. Je fais le vide dans ma tête afin d'être disponible pour mes stagiaires, je partitionne, c'est l'une de mes spécialités.

Je descends prendre un petit déjeuner continental, je n'ai jamais été fan des goûts salés au réveil. Et même si la confiture n'a rien d'artisanal et que les viennoiseries sont un peu plates, je me régale malgré tout, car la brioche est moelleuse avec un très léger goût d'eau de fleurs d'oranger. Mon appétit s'aiguise au fil des bouchées et je reconnais un petit excès de gourmandise. Pas très bien tout ça, car le dîner était riche, hier soir. Qu'importe, il sera temps d'être raisonnable plus tard, bien plus tard et puis une bonne marche pendant la pause déjeuner devrait aider à éliminer un tout petit peu des calories excédentaires.

Avant de retourner à ma chambre, je précise à la réceptionniste mon absence pour le dîner de ce jour puis je remonte terminer mes ablutions matinales et ramasser mes affaires. Enfin, je reprends mon véhicule pour me rendre au centre de formation pour ma deuxième journée. Pas de nouvelles de ma fille, elle doit dormir encore, à moins qu'elle ne se passe très bien de sa mère, ce qui est fort probable.

Les stagiaires sont au café, comme hier et lorsqu'ils me voient arriver, ils viennent dans la salle avec. Des petits biscuits secs ont été apportés par l'un d'entre eux, en réponse à son téléphone portable qui a sonné hier pendant mon cours. C'est une petite punition agréable que j'ai mise au point il y a de cela plusieurs mois et qui ne semble déplaire à personne, et comme il y a toujours un appareil pour vibrer ou sonner, on ne manque jamais de réconfortant.

Aujourd'hui nous abordons plus particulièrement la partie désherbage et les nouvelles techniques alternatives. Bien entendu il y a la binette, objet désuet qui revient à la mode, au grand dame des jardiniers. Mais cela ne s'arrête pas là et des inventeurs ont travaillé sur le sujet, sentant tourner le vent pour les désherbants chimiques. J'ai bien entendu mon réfractaire aux nouvelles techniques, et je me demande toujours ce que ces personnes viennent faire à la formation, mais malgré son rejet des changements, il doit avoir compris qu'il n'a pas vraiment le choix, la législation est là, il doit l'appliquer.

La journée est vite passée et la pause déjeuner en compagnie des stagiaires ne m'a pas donné l'opportunité d'une marche digestive tant nous avons été bavards. Mais comme nous terminons de bonne heure, je me rends au lac du Moulin Papon dont on m'a parlé. En réalité, ce n'est pas vraiment un lac, plutôt une retenue d'eau, mais qu'importe, le coin est calme et le bruit de l'eau qui jaillit est plaisant. J'ai prévu une marche, mais finalement je m'assieds simplement sur la berge, bien que celle-ci soit un peu humide. Je regarde la vie sur l'eau, autour de l'eau et je ne pense à rien. Ma tranquillité est interrompue par la vibration énervée de mon téléphone dans la poche intérieure de mon manteau. J'attrape l'appareil, mais avant que je n'aie eu le temps de répondre, le répondeur a pris ma place. Je regarde mon journal d'appel, c'est un numéro masqué. Mon répondeur me rappelle pour me dire que je n'ai aucun message. Quelle stupidité ! Je hausse les épaules, à part avoir troublé ma paix du moment, ce répondeur ne sert à rien.

Je réalise qu'il est temps pour moi de rentrer à l'hôtel et de m'apprêter pour mon dîner avec mon galant d'hier soir. Je frissonne, est-ce la nuit qui tombe ou autre chose ?

De retour dans ma chambre pour la dernière nuit, je me prépare avant l'arrivée de mon chauffeur. C'est vite fait, je n'ai pas apporté de quoi me rendre à un rendez-vous galant, je vais donc me la jouer simplement. Je suis prête trop rapidement, il ne me reste qu'à patienter en prenant un livre. Curieusement, les mots n'ont aucun sens. C'est fini de partitionner mon cerveau à cette heure, je vois bien que je suis déjà ailleurs, en quasi totalité. Alors, j'allume le téléviseur espérant trouver de quoi distraire mon esprit, mais là encore, c'est chose impossible. Je vois les images sans les lier entre elles et le son qui sort des haut-parleurs ne parvient pas à prendre sens. Je m'allonge sur le lit, les pieds posés au sol et je regarde le plafond. La sonnerie du téléphone de la chambre me surprend me faisant prendre conscience que je m'étais assoupie un moment. Je suis perdue, ne reconnaissant pas le lieu dans lequel je suis, juste le temps de quelques secondes. Puis je réalise et je prends le combiné que je colle à mon oreille pour m'entendre annoncer que j'ai de la visite. Mon hôte du soir est arrivé, il m'attend à la réception. Cette fois-ci je ne me fais pas les escaliers et je ne joue pas à le surprendre, ce n'est pas non plus mon meilleur ami à qui je ferais une blague. Femme, j'arrive par l'ascenseur et lorsque les portes s'ouvrent, il est là à m'attendre, un léger sourire aux lèvres. Je marque une fraction de seconde d'hésitation, je n'avais pas vraiment fait attention à lui hier soir bien qu'il était en face de moi, toutefois je me souviens parfaitement de ces yeux verts très clairs qui m'avaient accrochée et de ce visage régulier marqué de quelques rides d'expression. J'avais aussi remarqué qu'il était vêtu d'un costume passe-partout de commercial avec une cravate bleu nuit, tout du gendre idéal dont rêvent ses clientes. Ce soir il est habillé d'un simple jeans et d'un polo surmonté d'une veste, décontracté chic. Il n'est pas beau, il est juste sexy au diable ! La réceptionniste me regarde, j'ai l'impression de déceler un brin d'envie dans ses yeux, mais je dois fabuler.

La belle voiture est là, garée devant l'hôtel et comme la veille au soir, mon chauffeur me tient la portière le temps que je m'installe, puis la referme avec douceur. Il me fait la conversation, mais j'avoue que je suis un peu tendue. Je ne suis plus dans la magie d'hier, la séduction ne joue plus, même s'il dégage un sex-appeal digne d'un demi-dieu. Qu'importe, il reste courtois et ne s'inquiète pas de mon silence.

Nous arrivons devant chez lui après un peu plus de 30 minutes de route. C'est une maison isolée en sortie de village devant laquelle nous nous trouvons. Difficile de dire à quoi elle ressemble à cette heure de début de soirée, le jour a disparu depuis au moins deux heures.

Le portail en bois ouvragé qui empêche l'accès au jardin s'ouvre tout doucement sans que j'aie vu mon chauffeur appuyer sur le moindre bouton. Il fait nuit noire ce soir, le ciel est couvert et de la pluie est annoncée, ni étoiles ni lune pour nous éclairer le chemin cette fois. Mais qu'importe puisqu'un détecteur nous repère déclenchant aussitôt une lumière artificielle qui délimite le périmètre d'un jour cru et froid. Je découvre alors un petit jardin paysagé avec soin dans lequel je reconnais des essences d'arbres et d'arbustes qui ne résisteraient pas une nuit d'hiver dans ma région. Un chemin de galets gris nous montre la direction pour rejoindre la porte d'entrée. Pendant que nous l'empruntons, j'en profite pour regarder la maison. Elle est traditionnelle, basse comme cela se fait dans la région et son toit est recouvert de tuiles romaines ocres qui donnent l'impression d'être près de la méditerranée. Mais après tout, nous sommes au sud de la Loire et pour une nordiste comme moi, c'est un peu comme si je me trouvais à Marseille. Me manque juste l'accent chantant du Sud, car j'avoue que le patois vendéen me fait plus sourire que rêver. Je m'imagine entendre mon compagnon du soir me parler en patois et un petit rire m'échappe, à cette idée. Fort heureusement pour moi, il ne s'en est pas rendu compte.

Il m'ouvre la porte de la maison, pénètre juste un peu, puis me laisse le passage. L'entrée n'est pas très grande, mais les meubles de rangement semblent avoir été faits sur mesure. Un banc niché dans une sorte d'alcôve et recouvert d'un tissu clair à rayures permet de faire une pause pour se chausser ou déchausser. Pour l'heure, il est habité par un chat endormi que notre arrivée ne dérange pas le moins du monde. Mon hôte me présente Ivy, son locataire, et me précise qu'il s'agit du chat de ses voisins, charmants retraités partis faire un petit tour du monde. C'est un peu comme avec Sushi et je lui explique que dans notre résidence, nous avons nous aussi notre chat squatteur, sauf que le nôtre n'a pas de propriétaire attitré.

Nous avançons plus loin dans la pièce et je reste scotchée de ce que je découvre. Ce qui, de l'extérieur, ne ressemblait qu'à une petite maison, paraît nettement plus grand à l'intérieur, avec un volume sur deux étages. Je reste sur place, immobile et la bouche ouverte, ce qui fait sourire le propriétaire des lieux. Je m'étonne, comment une si petite maison peut s'avérer si grande. Il m'explique que le sol est creusé sur l'arrière de la maison et que c'est pour cela que l'entrée ne présente qu'un rez-de-chaussée. En réalité, la maison est en duplex en un mariage réussi de bois blanchi, d'acier et de verre. Le salon au sol fait de lattes de chêne blanchi est ouvert sur une grande cuisine lumineuse et fonctionnelle. Le plafond quant à lui est recouvert de sapin tout aussi clair. Au «sous-sol », ce sont les chambres et la salle de bain, me dit-il. J'avance enfin dans la pièce tout en admirant les lieux. Je m'étonne à voix haute, comment un commercial peut s'offrir ce genre de demeure ? Je m'en excuse aussitôt, ma pensée s'est exprimée sans que je ne l'autorise, je suis confuse. Tout en me retirant mon manteau et en le déposant dans l'entrée, il s'amuse de ma gène et me rassure, il comprend mon questionnement. Pour autant, il n'y apporte pas de réponse. Tant pis, après tout, je m'en fiche un peu, je préfère vivre le moment présent. Il me propose de visiter le reste de la maison, j'accepte, dévorée de curiosité. Comment refuser de découvrir le beau ?

Dans un côté du salon, à l'opposé de la cuisine, un escalier aux marches de bois et aux contremarches de verre nous conduit à l'étage inférieur, vers les chambres. Il y en a deux. La première est grande et faiblement garnie de mobilier. Le lit king size trône dans la pièce, recouvert d'une housse de couette rouge à motifs géométriques uniquement sur le haut du tissu. Les taies d'oreillers sont réalisées dans le même modèle. La tête de lit est simple, en bois Wenge sombre. Je me souviens avoir entendu un vendeur de mobilier me vanter les mérites de ce bois de palissandre très foncé et dense, issu de l'Afrique tropicale et très difficile à travailler. Les fabricants de meubles en sont très friands, plus exactement très friands d'imitation de ce bois. Je n'y connais pas grand-chose, mais curieusement, je pense que je ne suis pas en présence d'un fac-similé.

La table de nuit, réalisée dans le même matériau, semble flotter dans l'air, son plateau étant plus grand que sa base qui en devient invisible. Un trio de lampes de chevet ovales est allumé, diffusant une lumière adoucie par le revêtement en tissu orangé.

Le lit et la table de nuit sont posés sur un tapis beige clair épais qui semble attendre que l'on veuille bien y plonger ses pieds avec volupté, un peu comme le sable chaud des mers du Sud.

Sur le côté de la chambre opposé à l'entrée, occupant presque toute la longueur du mur, un meuble bas composé de grands tiroirs qui doivent probablement contenir le linge du maître de ces lieux. Pour casser la monotonie de ce long plateau brun, des bougies perchées sur des hauteurs différentes sont disséminées au gré des envies. Un radiateur tout en hauteur sert de séparation avec la pièce voisine qui est en fait une salle d'eau aux teintes chaudes. Mon guide me conduit dans cette pièce de toilette où le brun et l'orangé se mélangent harmonieusement. Une douche à l'italienne occupe une grande partie des lieux, y tenir à deux semble être le but recherché. Deux vasques brunes se côtoient devant un simple miroir. C'est curieux, je n'avais jamais vu une chambre communiquer sur la salle d'eau de cette façon.

La pièce suivante n'est pas des plus intéressante, mais fort utile, il s'agit des toilettes. Il est toujours bien de savoir où elle se trouve, car il n'y a que dans les films et les contes que les personnages n'en ont jamais la nécessité.

Sur l'autre côté du couloir, la seconde chambre avec sa salle de bain intégrée. Ici les couleurs sont dans les teintes vertes, naturelles, vives et lumineuses. Des lits jumeaux partiellement rapprochés sont recouverts d'une parure de tissu d'un vert très clair avec des motifs de bambous. Les têtes de lit sont en planches de bois brut non rabotées et peintes en blanc. Une table de nuit est installée sur chaque côté extérieur des lits afin de ne pas empêcher de transformer ces lits individuels en un lit double, en cas de besoin. Là aussi la pièce n'est pas encombrée de mobilier et un tapis au sol semble attendre des pieds nus.

La baignoire est apparente, allongée et posée sur des pieds dorés travaillés. On dirait celle qu'utilisaient les rois et les reines des temps anciens. Elle donne sur la baie vitrée, mais il n'est pas possible de dire la vue dont on dispose, car la nuit est profonde. Une vasque transparente est posée sur un meuble de bois teinté de vert à proximité d'un porte-serviettes chauffant.

Je suis bien entendue très impressionnée par cette maison et je m'en ouvre à mon guide qui se décide enfin à me répondre. Il m'explique qu'à l'origine, tout ceci n'était qu'un atelier abandonné, il y a fort longtemps et qu'il l'a acheté pour une bouchée de pain, vivant sur place dans un mobile home pendant de nombreuses années afin d'y réaliser les travaux. C'était un rêve d'enfant qu'il a concrétisé. Cela explique le comment un simple commercial peut s'offrir pareille demeure, me dit-il un brin taquin.

Je suis admirative et le félicite, m'étonnant toutefois qu'il vive seul dans ce lieu. Il sourit, et me propose de remonter à l'étage afin de nous installer à la cuisine, nous boirons un verre pendant qu'il prépare le dîner, nous pourrons alors discuter tranquillement. Il a l'art d'esquiver les réponses à mes questions, ce monsieur. Toutefois, j'abonde dans son sens, mon appétit est aiguisé et je suis curieuse de découvrir ses talents culinaires, s'ils sont aussi développés que son goût pour la décoration et son habileté à bricoler, je vais me régaler. D'ailleurs, je ne m'en cache pas et avec mon franc parlé habituel je lui en fais part. Il me répond qu'il avait bien compris que si je venais chez lui ce soir, c'était uniquement pour satisfaire ma gourmandise qu'il avait bien cru déceler lors du dîner précédent. Bien entendu, pourquoi d'autre serais-je venue ?

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