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Le cri de la salade

A la demande de mes ami(e)s, je me lance à partager quelques variations épistolaires.

Un homme seul - partie 19

L'apéritif est terminé, c'est toutes en cœur que nous passons à table, affamées de nourriture terrestre et de nos petites histoires.

Une belle nappe chocolat brodée de fils de même couleur formant des petites étoiles, dissimule un long plateau que nous savons de bois clair. Les chaises confortables placées autour sont recouvertes d'une housse en lin crème avec un nœud sur l'arrière.

La vaisselle est simple, en harmonie avec les housses de chaise. Du pain de maïs est disposé à chaque bout de la table dans une petite corbeille en osier recouverte d'un tissu rugueux. Et pour parachever cette petite décoration simple, mais chic, un chemin de fleurs court sur toute la longueur, dans de minuscules vases dont la base alourdie empêche la chute en cas de geste malencontreux.

Nous prenons place, trois de chaque côté, la maîtresse de maison placée le plus près de la cuisine afin de nous déranger le moins possible dans ses allées et venues. Par habitude, nous savons qu'elle n'aime pas que nous l'aidions, c'est son plaisir de s'occuper de nous, totalement et de sentir notre bien-être. Si nous faisons mine de bouger, elle nous gronde, tels des enfants qui seraient privés de dessert en quittant la table trop tôt. Connaissant ses talents culinaires, et ne voulant manquer le point d'orgue du repas, nous restons bien sagement à notre place. Elle tolère un léger coup de main lorsque certains plats demandent à être servis rapidement ou lorsqu'elle souhaite gérer plusieurs choses en même temps, mais ce n'est pas à nous de prendre l'initiative. Cela a pu déranger certaines d'entre nous au début, toutefois nous avons rapidement compris qu'en ne nous pliant pas à cette règle édictée par notre amie, nous lui gâchions son plaisir, aussi, maintenant nous profitons du moment sans culpabiliser.

L'entrée arrive, un magnifique potage de couleur rouge sang, à la betterave. Je n'en ai jamais goûté, c'est une découverte. Il fume et parfume l'air ambiant d'une légère odeur aigre douce. Lorsque nous sommes toutes servies et notre hôtesse installée, la cuillère à la main, nous nous regardons pour le top départ.

Qui commence ? Laquelle d'entre nous va nous conter ses aventures, ses déboires ? Laquelle d'entre nous va nous faire rire ou pleurer ?

C'est notre médecin de campagne qui s'y colle la première. Il faut dire qu'avec les journées chargées qui sont les siennes, elle n'a pas de mal à nous trouver des anecdotes en tout genre. Bien entendu le secret médical reste de rigueur ! Quoi que, parfois...

Elle prend la parole, signalant qu'il arrive que son boulot ou plutôt ses patients abusent vraiment. En même temps, on le savait déjà, mais c'est toujours bien de nous rafraîchir la mémoire, afin que nous ne soyons jamais des patientes qui abusent à notre tour. Elle nous régale avec l'histoire de cet homme qui l'appelle un soir, passé 22 heures, alors qu'elle assure sa garde. Il demande à ce qu'elle vienne intervienne chez lui, car en déménageant un meuble, il s'est coincé le pied très fortement. Prudemment, elle se renseigne avant de se déplacer, non qu'elle ne veuille pas faire son travail, juste qu'elle préfère vérifier la nécessité de ce trajet nocturne. Elle lui demande si son pied est décoincé, ce qu'il confirme précisant que sinon, il n'aurait pu arriver jusqu'au téléphone pour l'appeler, c'est d'une évidence, il semble surpris qu'elle ne le comprenne pas d'office. Patiente, elle lui demande s'il a mal, et dans ce cas, qu'elle serait selon lui, l'intensité de sa douleur. Il lui répond qu'il n'a pas mal. Ah ! vous ne sentez rien ? Non, non, il ne sent rien. Bon alors, elle s'inquiète de savoir s'il peut bouger son pied. Oui, bien entendu ! Là encore, c'est d'une telle évidence pour lui que c'est incompréhensible que ce ne soit pas le cas pour elle. Alors, interrogative, elle lui résume la consultation téléphonique précisant que d'après ses explications, il n'a rien. Il confirme encore une fois. Étonnée, elle lui demande ce qu'elle peut faire pour lui dans ce cas. Et lui de lui répondre le plus naturellement du monde qu'il ne sait pas, c'est pas lui le médecin !

Et nous de rester sans voix devant cette chute surprenante. Elle rit de bon cœur en voyant notre tête et elle nous avoue que sur le moment, elle a bien eu du mal à ne pas l'envoyer paître avec ses moutons. Poliment, elle lui a expliqué que son état de santé ne nécessitait pas son intervention, mais que si une douleur devait se manifester, qu'il n'hésite pas à joindre son secrétariat. Lorsque nous avons fini de commenter cette consultation surprenante, la maîtresse de maison nous débarrasse de nos assiettes et des reliefs de notre entrée. Elle revient juste à temps pour entendre que l'on questionne notre gentil médecin.

Bien, mais, et ta fille, tu as des nouvelles ? s'inquiète la nounou de cœur et de métier.

Pas vraiment en ce moment, la dernière fois qu'elle en a eu, elle se trouvait en route pour le Tibet. C'était il y a déjà 3 semaines. Il y a peu de moyens de communication aussi cela limite les possibilités de contact. Du coup, notre amie nous rejoue l'encyclopédie qu'elle a consultée comme pour accompagner de loin sa fille pendant ses tribulations dans cette région du nord de l'Himalaya, sur le plateau le plus élevé de la planète, à une altitude moyenne de 4900m. On l'écoute nous parler de ce pays qu'elle ne connait pas, on devine son angoisse et ses lectures sensées la rassurer. Alors, sans se concerter, d'un unique élan, on se lève toutes et on vient l'entourer de notre amour. Ses yeux s'humidifient, on va toutes y passer si on ne trouve pas rapidement un autre sujet de conversation.

Et c'est notre amie soudeuse qui prend la parole pour nous parler de la mésaventure qui lui est arrivée dans les transports en commun. Alors qu'elle lisait tranquillement un magasine assise sur son siège dans le métro, elle a senti qu'on lui touchait l'épaule. Se retournant pour voir qui l'interpellait, elle a eu la mauvaise surprise de découvrir qu'un homme était tout simplement en train de se frotter le sexe contre elle tout en lorgnant dans son décolleté. Voyant qu'elle le regardait, il lui a adressé un sourire torve en lui demandant si elle ne voulait pas carrément le sucer.

En entendant cela, voici que nous nous énervons devant ce harcèlement constant que subissent les femmes dans les transports en commun et même tout simplement dans la rue. Nous échangeons notre ressenti et confirmons qu'à notre avis, la situation empire au fil des années et que, même si les hommes veulent dédramatiser les faits en s'accordant le droit de draguer, la répétition des pulsions libidinales devient insupportable. Ras-le-bol d'être considérée comme une marchandise que l'on regarde sous toutes les coutures, un bout de viande sur l'étal du boucher. Mais à nous emporter, nous n'avons pas laissé le soin à notre amie de nous dire comment elle avait réglé le problème, car nous avons toute confiance en sa capacité pour remettre un malotru en place ! Alors ? Qu'as-tu fait, demandons-nous en souriant par avance.

Et toute contente, elle nous explique qu'elle s'est levée, tranquillement, qu'elle s'est retournée vers lui avec le sourire et lui a proposé de s'occuper encore mieux de lui. Il n'en croyait pas ses oreilles, bien entendu, et c'est avec plaisir et gourmandise qu'il l'a vue approcher sa main de la boursouflure de son pantalon. Par contre, il a beaucoup moins aimé lorsqu'elle a commencé à serrer, d'abord tout doucement, puis de plus en plus fort jusqu'à ce qu'il tombe les genoux à terre et la supplie d'arrêter en pleurant. Elle a finalement relâché la pression et lui a déconseillé de recommencer sur une autre femme affirmant qu'en plus, ça n'en valait vraiment pas la peine vue qu'elle avait eue toutes les peines du monde à trouver son service trois-pièces tant il était perdu dans son pantalon. Puis alors qu'elle le libérait, il s'est écroulé au sol en posant ses mains sur son sexe, comme s'il était encore temps de le protéger. Les femmes qui se trouvaient dans le wagon ont applaudi notre amie et l'ont félicité pour cette vengeance par procuration. Les portes se sont ouvertes, elle est sortie, laissant là le triste individu face aux femmes victorieuses.

Et nous aussi d'applaudir notre amie et sa répartie cinglante et naturelle.

Notre hôtesse s'affaire en cuisine, nous devinons avant qu'il n'arrive le plat suivant, à l'odeur alléchée. Il s'agit tout simplement d'un magnifique poulet cuit à la broche, doré comme s'il avait passé 6 mois dans les îles ensoleillées des tropiques. Il est accompagné de pommes de terres sautées persillées et de haricots verts. C'est tout simple et c'est juste tellement ce que j'avais envie de manger, que j'en suis ravie. Pourquoi se compliquer la vie avec des préparations complexes quand un simple poulet rôti peut à ce point émoustiller nos papilles ?

Une fois servies, c'est moi qui prends la parole. Ces quelques jours, il m'est arrivé deux aventures, j'hésite sur celle que je vais raconter, mais pas longtemps, car j'ai plus envie de me replonger dans un moment agréable que le contraire. Alors, je raconte l'homme de Vendée. Les filles m'écoutent, attentives, tout en continuant la dégustation du plat. Un silence religieux accompagne ma narration. Je vois même mes amies cesser de manger lorsque j'arrive au moment où, près de la porte, il me dit au revoir, à sa façon.

Et c'est un tollé général lorsqu'elles découvrent qu'il n'y a eu rien de plus qu'un petit baiser et aucun échange de numéro ou de garantie de se revoir bientôt. Elles s'inquiètent, il faut que je contacte mon ami, son collègue, afin de faire avancer la chose ! Et moi je m'obstine à ne pas vouloir. Je me fais gronder, on me signale qu'il est temps de prendre ma vie en main et que je mérite largement ma part de bonheur. Fataliste, je rétorque en prétendant que je suis bien dans ma vie avec mes petites habitudes plan-plan et que la situation me convient ainsi. Mon amie découvreuse de tops modèles s'insurge en m'affirmant qu'il est temps que j'arrête de mettre ma vie entre parenthèses et que, ma fille bientôt partie, je vais me retrouver seule. Vu que ce n'est pas mon genre de courir le guilledou, il serait donc préférable pour moi de me trouver un homme charmant qui pourrait aussi m'entretenir. Le mot est lâché ! Branle-bas de combat entre les femmes indépendantes et celles qui ne trouvent rien de choquant à dépendre d'un homme. Et curieusement, mon amie soudeuse est dans ce deuxième camp. Elle si autonome m'affirme qu'elle ne trouve rien de dérangeant à l'idée que je me repose sur un homme pour régler les détails du quotidien. Notre médecin crie au scandale, mais sans pour autant faire montre de la moindre agressivité. Quant à notre hôtesse, elle ne voit rien à redire au fait d'être entretenue, elle considère que dans son couple, c'est chacun sa part et que, si elle ne rapporte pas un salaire au foyer, elle permet à son mari de travailler sans les soucis du quotidien dont elle s'occupe allègrement. Et il est vrai que si son cher et tendre devait employer du personnel de maison pour réaliser ces tâches, elle n'a aucun doute sur le fait qu'il lui faudrait doubler son temps de travail pour y parvenir. L'un dans l'autre, elle estime, à juste titre, réaliser une activité qui devrait lui ouvrir des droits à la retraite, comme toute personne rémunérée pour son travail.

Et nous voici réorientées vers les retraites, chacune ayant son point de vue, capitaliser et préparer sa retraite en économisant au fil du temps pour certaines, solidarité entre ceux qui gagnent beaucoup et ceux qui ont juste de quoi vivre pour les autres. Une seule certitude, il serait grand temps de revoir notre système de retraite avant qu'il ne s'étouffe et ne conduise la population âgée dans la précarité, après avoir travaillé toute sa vie. Le débat est vif, mais toujours sans colère, notre amitié a dépassé ce stade il y a bien longtemps. Nous nous apprécions trop pour en venir à nous fâcher. Peu importe nos opinions personnelles, ce n'est pas nous qui changerons les lois alors, il n'est pas nécessaire de se mettre en colère, juste utile d'échanger sur le sujet. Nous aimerions bien être entendues de nos édiles, comme une bonne partie du peuple, et même si certains hommes politiques prétendent vouloir être à notre écoute, dès que le pouvoir leur est donné, ils perdent subitement la capacité de nous entendre.

La maîtresse de maison demande de l'aide pour débarrasser afin de pouvoir apporter le dessert, tel un « pouce ! » que nous faisions enfant pour mettre le jeu en pause. Comme une volée de moineaux, nous nous éparpillons soit pour l'aider, soit pour une petite pause cigarette ou un petit tour en douce sur son portable.

Pour le dessert, c'est retour sur le canapé, histoire de se détendre et de profiter du feu qui brûle encore dans l'insert, mais en attendant, on termine de nettoyer la table de tous les souvenirs de nos ripailles. On se contente d'apporter le tout dans la cuisine que l'on se dépêche de quitter afin de ne pas empiéter sur le territoire de notre hôtesse puis nous reprenons notre place, mes amies sur le canapé ou les fauteuils et moi dans ma chaise à bascule.

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